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Nous apprenons avec une profonde tristesse le décès le 6 novembre 2014 d’ Abdelwahab Meddeb, poète, islamologue, essayiste et romancier, et producteur de radio, né en 1946 à Tunis.
Culture d’Islam, l’émission diffusée sur la radio France Culture dont il était producteur nous éclaire depuis des années sur cette religion et en ce sens représente un véritable bouclier contre l’intégrisme. Les débats d’ Abdelwahab avec Tariq Ramadan témoignent de son engagement contre toute sorte d’obscurantisme.
« Si, selon Voltaire, l'intolérance fut la maladie du catholicisme, si le nazisme fut la maladie de l'Allemagne, l'intégrisme est la maladie de l'islam », écrivait-il en ouverture à La Maladie de l’islam (Seuil, 2002).
Il lui a été reproché son ambiguïté face au régime Ben Ali dont il se serait satisfait argumentant que le dictateur était un rempart contre l’Islamisme. Mais Cédric Enjalbert dans son article publié le 6 novembre dernier dans Philomag écrit : Ce vent de liberté, Abdelwahab Meddeb le retrouvera en Tunisie lors du printemps arabe, nous rappelant à l'occasion que son « dégoût du régime était plus existentiel que politique, même si les deux dimensions sont indissociables. J’avais quitté le pays parce que j’y étouffais, parce que je n’avais pas les moyens de vivre et de respirer dans la liberté. C’était déjà le cas au temps de Bourguiba. Mais je m’accommodais en partie de la situation politique : “intégriste” de la laïcité, j’avais pris position pour les généraux algériens lorsqu’ils ont empêché le FIS d’accéder au pouvoir après le verdict des urnes et pour Ben Ali lorsqu’il a procédé à l’éradication des islamistes en 1989. Je tenais à ce que la Tunisie reste le pays de la liberté des mœurs et de la présence des femmes dans la cité. Et puis j’ai évolué, surtout en cheminant avec l’évolution de mes amis laïcs de Turquie. Je suis de près leur lente allée d’une république laïque vers une démocratie islamique.»
La disparition de ce grand intellectuel qui ne faisait jamais étalage de son immense érudition laisse un vide profond dans le monde des idées.
1.
La litanie des coucous
rien ne transpire ni de l’herbe
ni de la terre ni des fleurs
lignes de briques murs effondrés
seules les fondations répartissent les carrés
hermétiques les images
où bourdonnent les insectes
la blancheur des arbres fusent
vers un ciel voilé
qui filtre la chaleur
césure du chant
2.
non, les merles n’ont pas déserté
où l’infâme
ni le soleil
et la nature indifférente
au malheur
ne porte le deuil
3.
à l’interstice des pavés la mousse
sèche
là courent les fourmis
actives
dans le lieu qui a connu
la mort absolue usine
de la mort
vestiges de notre temps les lieux ont-ils une mémoire ?
par le corps qui balance
au rythme de la voix
par le souffle qui ouvre
l’œil du cœur
donner au lieu
sa mémoire
par le silence l’entretenir
4.
ici fin mai
où l’infâme
retrouver un signe de l’enfance
touffes blanches qui voltigent
poils arrachés à la barbe de Satan, dit-on
accrochés aux cils voilà douze ans
à Florence
en chemin vers l’ultime Cène
du sacrifice au plus barbare
où commence où finit le siècle
5.
ferme les yeux juif ferme les yeux
sous le regard qui bondit de la dalle
béton arraché fendu brisé
par le séisme de mains d’homme
à vif le rêve noir de l’enfant
traverse le doute où le dieu se retire
dans le poids du jour
lévite à l’ombre du miroir
qui reflète un doigt
haut levé d’où la fumée
disparaît dans les cieux.
Abdelwahab Meddeb Auschwitz 27 mai 2003