Nouvelles
L’arme fatale : le rire
Axel Kahn, dans l’émission « Les Matins » de France Culture, au lendemain de la tragédie de Charlie Hebdo, disait à Marc Voinchet que le rire représente une rupture contre l’oppression de la norme.
Le rire est en effet une arme subversive et hautement politique que Charlie manie depuis la naissance du journal.
Charlie, se bat depuis toujours contre tous les obscurantismes, avec comme unique force de frappe, l’humour. Charlie transgresse certaines limites du politiquement correcte au mépris des conséquences dangereuses que son audace peut engendrer. Différents procès ont été intentés au journal et Charb gravement menacé était placé sous surveillance. Malgré tout, Charb, Cabu, Wolinsky et Oncle Bernard, continuaient à déconner...
Mais, on aurait tort de réduire Charlie à un journal purement satirique. L’hebdomadaire au travers de la plume d’Oncle Bernard, d’Antonio Fischetti, de Jean Baptiste Thoret, de Patrick Pelloux, etc. explore en profondeur des sujets variés comme l’économie, l’écologie, le domaine social, la culture. Quel que soit le domaine abordé, on peut considérer que les journalistes de Charlie défendent des convictions clairement situées à gauche de l’échiquier politique. A ce titre, ils luttent depuis toujours contre les discriminations, contre la précarité et l’exclusion.
Les bourreaux de Charlie ont tiré sur ceux mêmes qui plaident depuis toujours pour leur propre cause.
« S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, et l’on doit rire de tout : de la guerre, de la misère et de la mort. » Pierre Desproges.
Et de la religion…
ART BLOC, 20 ans après…
Un grand merci à toutes ces personnes qui s'investissent depuis vingt ans quotidiennement souvent bénévolement pour le plaisir (légitime) d'une petite communauté.
La salle ART BLOC est née d’une idée altruiste et cet état d’esprit perdure. Cela explique sans doute la fréquentation hétérogène des lieux : ici les mutants et les débutants se côtoient et bavardent autour d’un café. La structure par elle-même (ô pieds micros, comme on vous aime !) et l’ingéniosité des ouvreurs permettent à chacun de s’exprimer, tous niveaux confondus, le tout dans une ambiance d’émulation (généralement) dépourvue d’esprit de compétition. Confronté à un bloc dur, il s’agit plutôt de résoudre une équation en mettant les compétences en commun que de rivaliser avec l’autre au risque de se priver de ses talents.
Le président, Axel a su parfaitement conserver cette ligne directrice : une conception hédoniste de l’escalade, qui n’exclut pas la performance.
Mais c’est aux « accueillants » que revient le plus grand mérite : ils parviennent à gérer une multitude de tâches avec professionnalisme et beaucoup de bienveillance. C’est aussi cela la signature d’ART BLOC.
Alors ART BLOC, un eldorado de la grimpe ? Non, bien sûr, il existe des difficultés matérielles, des tensions, des frustrations comme au sein de toute communauté humaine, mais les ingrédients de ce qui constitue une société sont réunis au cœur de ce microcosme.
Il y a vingt ans lorsque Jacques Larthomas et Martial Nègre (et bien d’autres) se lançaient dans l’aventure, ils étaient considérés comme de doux utopistes, mais aujourd’hui fort est de constater que la pensée de Victor Hugo, s’impose :
"L'utopie est la vérité de demain."
Nous apprenons avec une profonde tristesse le décès le 6 novembre 2014 d’ Abdelwahab Meddeb, poète, islamologue, essayiste et romancier, et producteur de radio, né en 1946 à Tunis.
Culture d’Islam, l’émission diffusée sur la radio France Culture dont il était producteur nous éclaire depuis des années sur cette religion et en ce sens représente un véritable bouclier contre l’intégrisme. Les débats d’ Abdelwahab avec Tariq Ramadan témoignent de son engagement contre toute sorte d’obscurantisme.
« Si, selon Voltaire, l'intolérance fut la maladie du catholicisme, si le nazisme fut la maladie de l'Allemagne, l'intégrisme est la maladie de l'islam », écrivait-il en ouverture à La Maladie de l’islam (Seuil, 2002).
Il lui a été reproché son ambiguïté face au régime Ben Ali dont il se serait satisfait argumentant que le dictateur était un rempart contre l’Islamisme. Mais Cédric Enjalbert dans son article publié le 6 novembre dernier dans Philomag écrit : Ce vent de liberté, Abdelwahab Meddeb le retrouvera en Tunisie lors du printemps arabe, nous rappelant à l'occasion que son « dégoût du régime était plus existentiel que politique, même si les deux dimensions sont indissociables. J’avais quitté le pays parce que j’y étouffais, parce que je n’avais pas les moyens de vivre et de respirer dans la liberté. C’était déjà le cas au temps de Bourguiba. Mais je m’accommodais en partie de la situation politique : “intégriste” de la laïcité, j’avais pris position pour les généraux algériens lorsqu’ils ont empêché le FIS d’accéder au pouvoir après le verdict des urnes et pour Ben Ali lorsqu’il a procédé à l’éradication des islamistes en 1989. Je tenais à ce que la Tunisie reste le pays de la liberté des mœurs et de la présence des femmes dans la cité. Et puis j’ai évolué, surtout en cheminant avec l’évolution de mes amis laïcs de Turquie. Je suis de près leur lente allée d’une république laïque vers une démocratie islamique.»
La disparition de ce grand intellectuel qui ne faisait jamais étalage de son immense érudition laisse un vide profond dans le monde des idées.
1.
La litanie des coucous
rien ne transpire ni de l’herbe
ni de la terre ni des fleurs
lignes de briques murs effondrés
seules les fondations répartissent les carrés
hermétiques les images
où bourdonnent les insectes
la blancheur des arbres fusent
vers un ciel voilé
qui filtre la chaleur
césure du chant
2.
non, les merles n’ont pas déserté
où l’infâme
ni le soleil
et la nature indifférente
au malheur
ne porte le deuil
3.
à l’interstice des pavés la mousse
sèche
là courent les fourmis
actives
dans le lieu qui a connu
la mort absolue usine
de la mort
vestiges de notre temps les lieux ont-ils une mémoire ?
par le corps qui balance
au rythme de la voix
par le souffle qui ouvre
l’œil du cœur
donner au lieu
sa mémoire
par le silence l’entretenir
4.
ici fin mai
où l’infâme
retrouver un signe de l’enfance
touffes blanches qui voltigent
poils arrachés à la barbe de Satan, dit-on
accrochés aux cils voilà douze ans
à Florence
en chemin vers l’ultime Cène
du sacrifice au plus barbare
où commence où finit le siècle
5.
ferme les yeux juif ferme les yeux
sous le regard qui bondit de la dalle
béton arraché fendu brisé
par le séisme de mains d’homme
à vif le rêve noir de l’enfant
traverse le doute où le dieu se retire
dans le poids du jour
lévite à l’ombre du miroir
qui reflète un doigt
haut levé d’où la fumée
disparaît dans les cieux.
Abdelwahab Meddeb Auschwitz 27 mai 2003
Salut Hervé,
Je me permets de me représenter quel a été ton effroi lorsque tu as compris quel sort t’était réservé…
On dit que l’on voit défiler le diaporama de sa vie durant les instants qui précèdent la mort.
Alors, je l’espère, tu as eu le temps de passer en revue toutes les images de ta superbe vie de guide ;
L’univers silencieux et magique de tes excursions en ski de randonnée,
L’or des falaises au crépuscule alors que tu abordes la dernière longueur d’une voie de rêve,
L’eau turquoise des vasques de l’Estéron,
La grâce des chamois défiant les lois de l’apesanteur,
Le murmure des ruisseaux et le tumulte des cascades lors de la fonte des neiges,
L’odeur envoûtante et animale du buis des gorges du Verdon, « patience dans l’azur » suspendu au relais,
Tu as su transmettre avec talent, humilité et tant d’humanité à tes stagiaires, tes compagnons de randonnée ou de cordée, et surtout à Erwan, toute cette mosaïque d’images, cette explosion de sensations qui composent notre univers vertical.
En dépit de ta grande maîtrise des différentes pratiques liées à la montagne, il t’importait, plus que l’idée de performance, de communiquer une vision hédoniste de ce monde.
La montagne est en deuil d’un de ses messagers les plus attachants.
L’alpinisme est un sport dangereux, mais ce n’est rien comparé à la folie humaine…
Federica Corrado, Elena Di Bella, Valentina Porcellana (a cura di), (dir.),
Les nouvelles frontières de la recherche dans les régions alpines
Le nuove frontiere della ricerca per i territori alpini, Terre Alte-Dislivelli, Franco Angeli editore, 2013.
En italien
Vous trouverez un aperçu des résultats des dernières recherches sur le contexte alpin discuté lors du Second forum interdisciplinaire de jeunes chercheurs des Alpes de demain organisé par Dislivelli et la Province de Turin( Projet Interreg IV C Padima), à partir des questions de dépeuplement et de repeuplement des zones de montagne.
“Secondo Forum interdisciplinare dei giovani ricercatori per le Alpi di domani”, organizzato da Dislivelli e dalla Provincia di Torino (Progetto Interreg IV C Padima) in collaborazione con Dipartimento di Filosofia e Scienze dell’Educazione dell’Università di Torino, l’Istituto Superiore sui sistemi territoriale e per l’innovazione e il Segretariato permanente della Convenzione delle Alpi
Dans ce volume sont collectées et traitées les questions d'une manière interdisciplinaire : la construction des identités territoriales et les changements culturels en place, le développement du tourisme en tant que force motrice pour les zones de montagne marginales, les politiques de développement durable pour l'utilisation et l'exploitation des ressources alpines, les outils les plus appropriés pour l'analyse territoriale des contextes alpins.
Une partie de l'article de Enrico Camanni sur Dislivelli
Turin perd les Alpes
« La fermeture de Alp et de la Rivista della Montagna, récemment réunis dans un magazine est une très grave nouvelle pour Turin et ses relations avec les Alpes, qui, au lieu de se renforcer à l'occasion des Jeux olympiques, se sont progressivement réduites et appauvries, jusqu'à perdre toute sa précieuse tradition éditoriale ainsi que la longue expérience des zones de montagne, les clairvoyantes politiques des parcs, le Salon de la montagne, et ainsi de suite. Turin n'a jamais été aussi isolée de ses Alpes et il est plus qu'urgent , avec l'aide de la Compagnia di San Paolo, de repartir pour fonder, ou plutôt de refonder un lien culturel avec les montagnes, duquel peuvent retomber des actions sociales et politiques pour le territoire. »
Derrière le décor baroque se dessine la tragédie humaine.
Naples vit depuis sa création sous la double menace du Vésuve et de la misère.
La vie de cette ville, considérée comme la troisième ville européenne au XVIIIe siècle, « capitale d’un royaume florissant et centre intellectuel et artistique de premier plan » dira d’elle Dominique Fernandez grand connaisseur de l’Italie et admirateur de la cité, semble constamment jouer l’équilibriste sur le fil ténu de la vie. La beauté et la laideur, la culture la plus raffinée et la misère la plus sordide cohabitent. Au-dessus de la ville plane le danger du volcan, dans les entrailles de la capitale de la Campanie, la pauvreté mine une partie de la société. Malgré cela ou peut-être à cause de cela le génie napolitain s’exprime au quotidien, au travers de l’art, et de la « combinazione ».
Un passionnant article de l'excellent Joseph Gonfavreux et Marine Vlahovic paru dans Mediapart.fr le 02 avril 2013.
Patrick Edlinger nous a quittés.
Qui n’a jamais entendu dire : « j’ai vu un type grimper à mains nues, sans corde, il s’appelle comment déjà ? » On avait des difficultés à retenir ce nom, mais l’image de ce corps flexible en parfaite osmose avec les parois vertigineuses des gorges du Verdon reste gravée dans la mémoire de chacun, adepte de « la progression verticale » ou non. C’est ainsi que Patrick, dans le début des années 80, a révélé au grand public une activité jusqu’alors très confidentielle, l’escalade libre.
Patrick Edlinger considérait sa pratique davantage comme un mode de vie que comme une simple discipline sportive. Au-delà de la performance, il a su traduire des valeurs intéressantes, comme le respect d'une nature sauvage et fragile, l’intégrité dans l’exercice de son activité. Mais, par-dessus tout, il a montré que ce sport générait d’autres finalités que la seule concurrence entre individus. Paradoxalement, bien qu’ayant participé aux premières compétitions, ce n’était pas un adepte de ce type de challenge, mais il l’a involontairement promu en popularisant cette discipline.
Pourtant, sa démarche revêtait un caractère bien différent.
C’était un personnage profondément romantique, un Don Quichotte qui aurait réalisé son rêve. Son refus du compromis avec le rocher, sa recherche de l’esthétique la plus aboutie dans sa gestuelle constituaient une sorte de ligne de conduite aristocratique ; c’était un Seigneur nomade et solitaire, dont le charisme a séduit les grimpeurs du monde entier.
J’entends par « solitaire » un retrait du monde indispensable à la concentration lors de ses ascensions. Car Patrick n’était pas un ermite, les nombreux témoignages d’amitié qui s’expriment depuis son décès en attestent. Les dialogues colorés qui rythment certains films dont il a été le protagoniste révèlent une personnalité chaleureuse et communicative. À l’instar de Georges Livanos « Le Grec », « Le Blond » a « méridionalisé » l’escalade, l’a extraite de son contexte strictement alpin, tant d’un point de vue physique que symbolique. Une subtile alchimie constituée de séduction et de génie a élevé Patrick au rang d’une sorte de demi-dieu.
Au fond, il serait plus pertinent de comparer ce héros des temps modernes à un artiste qu’à un sportif. Son œuvre foisonnante et éphémère relève autant d’une création chorégraphique que d’un exploit sportif, l’exigence physique que requiert la danse classique n’a d’ailleurs rien à envier à la préparation d’un athlète de haut niveau. Le culte du « geste parfait » existe dans d’autres disciplines sportives, mais la différence profonde s’inscrit dans l’engagement mental, car, comme Patrick le disait lui-même « faire des équilibres précaires à 200 mètres du sol, cela n’a plus rien à voir »…
Derrière ce moral d’acier se dissimulait à peine une grande fragilité, celle-là même qui lui permit de développer sa prodigieuse intuition, son « intelligence du rocher », mais fut probablement aussi source d’un malaise plus profond, inconnu du grand public.
Aujourd’hui, nous éprouvons le triste sentiment d’avoir perdu le compagnon de cordée dont nous avons tous rêvé.