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L’ordre des choses

La naissance du naturalisme européen, sous son aspect normatif et propositionnel, peut être située au milieu du XVIIe siècle. Par la suite le XVIIIe siècle connait une véritable mutation épistémologique. Dans une vision typiquement occidentale de la Nature, on assiste au "Grand Partage", "The Great Divide", division entre l'esprit scientifique et pré-scientifique, séparation de la nature et de la culture, mentionné par l'anthropologue Philippe Descola (Par-delà nature et culture). Ce découpage de la nature, cette taxinomie généralisée du monde, correspond bien à ce que décrit Michel Foucault dans "les mots et les choses" :

« Le monde à la fois indéfini et fermé, plein et tautologique, de la ressemblance se trouve dissocié et comme ouvert en son milieu; sur un bord, on trouvera les signes devenus instruments de l'analyse, marques de l'identité et de la différence, principes de la mise en ordre, clefs pour une taxinomie; et sur l'autre, la ressemblance empirique et murmurante des choses, cette similitude sourde qui au-dessous de la pensée fournit la matière infinie des partages et des distributions. D'un côté, la théorie générale des signes, des divisions et des classements; de l'autre le problème des ressemblances immédiates, du mouvement spontané de l'imagination, des répétitions de la nature. Entre les deux, les savoirs nouveaux qui trouvent leur espace en cette distance ouverte. »

Les montagnes n'échapperont pas à ces principes de classification systématique.

Introduction

Tout comme les limites, la division interne de l'arc alpin, quel que soit le critère choisi, est un vieux problème dans la description du champ de la systématisation des Alpes et souvent traité de façon très différente en fonction des divers auteurs ainsi que de chaque nation alpine.
De nombreux géographes ont mis en évidence la question épineuse de la définition des Alpes aussi bien que de leurs limites. On ne peut qu'être en accord avec le géographe Werner Bätzing qui souligne qu'« il n'existe pas de définition unique et infaillible des Alpes...» et ajoute «...même la question de la subdivision interne n'est pas résolue de manière consensuelle ». Ce constat est valable pour toutes les chaînes de montagnes.

Le but de cette étude est de confronter les concepts multiples et les nuances existantes en se plaçant dans une perspective historique (système et méthode ou non). Dans notre cas, ce travail de nomenclature correspond à une objectivation de l'espace alpin. Mais il est intéressant de noter qu'aujourd'hui, une description systématique de la chaîne, massif par massif, n'est pas un exercice obligé dans les synthèses dédiées aux Alpes comme celles de Paul Guichonnet, Paul Messerli, Werner Bätzing ou Rémy Knafou.

Bien qu'une grande partie de ces subdivisions soient orographiques, certaines prennent en considération d'autres critères comme les limites administratives, géologiques, biogéographiques, écologiques ou encore se caractérisent par des régions naturelles incluant le climat, la végétation, l'hydrographie, la géomorphologie avec des caractéristiques anthropogéographiques.
En ce qui concerne l'orographie, à l'heure actuelle, il n'existe pas de normes pour classer les massifs du système alpin. Si l'on cherche à créer une standardisation, on peut certainement trouver de nombreux éléments communs dans les différentes subdivisions présentées dans cette rubrique, mais la citation du géographe-cartographe Eduard Imhof, donnant son avis sur les limites géographiques entre Préalpes suisses et plateau suisse, « Chaque subdivision orographique, tout en obtenant l'approbation de certains géographes, est normalement contestée par d'autres » illustre parfaitement la difficulté de trouver un consensus.

Remarques sur les subdivisions orographiques

En général les principales subdivisions diffèrent sous trois aspects :

1. D’une part, l’examen des limites orographiques pures et d’autre part, les limites orographiques et géologiques mixtes.
2. L’utilisation d'un procédé défini, d’une méthode spécifique, en particulier Strzygowski, Mang, NRS et Mattmüller, ou sans méthode.
3. Le principe de deux ou trois sections principales (Alpes occidentales et orientales ou bien, Alpes occidentales, centrales et orientales), dans le cas de subdivisions confuses.

Les systèmes montagneux sont des objets orographiques caractéristiques de la surface de la planète.
Géologiquement parlant, une chaîne de montagnes est la partie supérieure d'un orogène(*) ou, si l'on veut, une région soulevée et plissée de la croûte terrestre.
Notons que, même si cette partie supérieure finit par s'éroder, de sorte que la surface de cet orogène soit devenue une plaine, l'orogène existe néanmoins.

Les continents sont composés d'orogènes, au moins un, par conséquent le continent et l'orogène sont plus ou moins la même chose, même s'il n'y a pas de montagnes du tout, et même si le continent se trouve sous la mer !
On peut donc constater qu'un orogène n'a pas toujours de relation avec une chaîne de montagnes.

Dans le cas précis d'une subdivision orographique la prise en compte des aspects géologiques d'une chaine de montagne est manifestement erronée. Des géologues sérieux ne le feraient pas, parce qu'ils savent que les limites géologiques qu'elles soient de nature lithologique ou tectonique, ne sont pas toujours identiques avec la frontière entre deux montagnes.
Disons que la subdivision d'une chaîne montagneuse est un problème de séparation entre deux montagnes.

Quelques phases importantes
Dès l'antiquité et particulièrement pendant l'époque de l'Empire Romain, les Alpes sont subdivisées en provinces, mais c'est véritablement au XVIe siècle que Josias Simler, pionnier en la matière, tente de constituer un ensemble cohérent de ce territoire.
Toutefois, ces questions ont commencé à être étudiées à partir du milieu du XVIIIe siècle et de manière plus approfondie au XIXe siècle avec l'arrivée dans ces montagnes, à une époque d'évolution des connaissances scientifiques, de savants voyageurs. Plus tard, avec le tourisme et l'apparition des topos-guides (individualisation des massifs) le travail de nomenclature des massifs occupe une place de tout premier plan.
Durant cette période, les massifs sont regroupés autour de critères définis par une littérature qui prend en considération les anciennes provinces romaines. De même, la toponymie vernaculaire des massifs n'est pas nécessairement liée au plus haut sommet.

Bipartition et tripartition
D'un point de vue général, on fait appel au concept basé sur 2 grands espaces géographiques, Alpes occidentales et Alpes orientales, d'inspiration géologique, et plus fréquemment utilisé par les auteurs allemands et autrichiens.
Une autre proposition consiste à subdiviser les Alpes en 3 parties : Alpes occidentales, Alpes centrales et Alpes orientales. Souvent les Alpes centrales se résument aux Alpes suisses.

Ces propositions n'ont pas toujours de méthode bien définie.

LES DIFFERENTES DIVISIONS DES ALPES DE L'ANTIQUITÉ À NOS JOURS :

XVI ème siecle

XVIII ème siècle

  • 1779 : HORACE-BÉNÉDICT DE SAUSSURE  (Voyage dans les Alpes)

XIX ème siècle

XX ème siècle

XXI ème siècle

Subdivisions administratives

Subdivisions écologiques


Special thanks to Dr. Roderich Mattmüller for his advice, support, documentation and confidence.

Notes*:

Orogène : n. m. du gr. oros, montagne, et gennan, engendrer - Système montagneux édifié sur une portion instable de l’écorce terrestre, ayant subi un important resserrement et montrant des plis et des nappes de charriage. Ce terme ne s’applique pas à n’importe quel relief : les reliefs volcaniques, les chaînes intracratoniques ne sont pas des orogènes.
1.Tout processus conduisant à la formation de reliefs ;
2. Plus particulièrement, formation des orogènes (ex. l’orogenèse hercynienne, l’orogenèse alpine)